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Julien Bensé – L’Odyssée
« Le monde est beau et hors de lui, point de salut »
Albert Camus, Le désert
Hymne à l’adhésion sensuelle au monde malgré son silence, L’Odyssée boucle en majesté la trilogie amorcée avec le disque Album en 2008 et poursuivie six années plus tard avec Le Printemps. Un album à écouter du début à la fin, comme on lit une histoire. Si Album tenait du manifeste vital d’un homme attaché à raconter ses racines, sa famille et Le Printemps contait voyages, rencontres et femmes, L’Odyssée est, selon son auteur lui-même, le disque de la confirmation de l’intuition, du « retour à Ithaque ». Les lettres ont toujours accompagné le troubadour au fil de ses créations ; Gabriel Garcia Marquez pour Album, Céline pour Le Printemps…
Au moment de concevoir ce nouveau cycle de chansons, Julien Bensé s’est replongé dans la lecture de quelques-uns de ses maîtres à penser, et à vivre.
« J’ai voulu rendre hommage aux auteurs qui ont fait mon éthique de vie » explique-t-il, citant, en vrac, Epicure, Lucrèce, Pascal, Camus, Montaigne, Spinoza et Nietzsche. Manière de synthèse entre les climats musicaux des deux albums précédents, la folk synthétique et sobre de L’Odyssée (publié par son label) a été enregistrée par l’artiste seul dans son home studio, nouveau laboratoire pour lui, pour les autres artistes de plus en plus nombreux à recourir à sa plume (Pomme, Laura Cahen…), le cinéma et le théâtre. La production encourage l’auditeur à se plonger corps et âme dans une musique lettrée qui nécessite une écoute active et attentive.
Volontiers cérébral, austère et sensuel, L’Odyssée part du constat du divorce entre l’homme et la Nature et explore les moyens d’une réconciliation possible à travers la création biologique et artistique. Jeune père, Julien Bensé a doublement réalisé cet objectif en s’astreignant à une véritable discipline de travail. « Bien sûr, ma paternité intervient, en filigrane, comme une adhésion au destin absurde de mon espèce, au Mystère de l’Homme. C’est imbriqué dans la confection des chansons. Condamnés à vivre, nous devons vivre plus fort que tout ». Contemplatif et vitaliste, Julien adopte le ton des grands moralistes du 17eme siècle pour chanter cette force de vie qui l’a toujours animé, seul lien avec sa race et le cosmos.
Venu du punk-rock, l’artiste touche-à-tout a toujours privilégié une approche empirique de la musique. Autodidacte (en musique, il est sinon diplômé en sciences politiques) et doué comme peu de ses contemporains pour faire sonner le Français avec un grand F, ce multi-instrumentiste continue d’approcher le son avec son intuition. « Les idées, l’imagination, voilà ce qu’il y a de plus important. Ensuite, l’instrumentation s’impose d’elle-même. » Au moment sacré de l’enregistrement, le musicien parvient à se vider de toute considération technique afin de privilégier une approche instinctive.
C’est donc armé d’une vieille guitare Martin, d’une basse, de claviers vintage et d’une boite à rythme du même tonneau qu’il a construit son album. En affranchi. « Musicalement, je me sens complètement libre. » C’est sur la guitare à cordes nylon que lui avait offert son père qu’il a commencé à composer les chansons de ce disque. « Poggio », première chanson écrite pour l’album, a été composée sur une terrasse du village corse du même nom et a donné son ton méditerranéen à l’opus. « L’orchestration m’est venue assez vite. Après un premier squelette de morceau, je passe des heures à tester des sons, des textures et des couches. Une fois que je maîtrise tout cela, j’épure, rends sa place au silence et c’est dans la boîte. » Le musicien a fait appel à Yann Arnaud (Ô, Syd Matters, Halo Maud…) qui avait déjà travaillé sur Album, pour réaliser le mixage de ce nouveau disque.
L’Odyssée se caractérise par une palette vocale extrêmement large, qui résulte du temps passé sur le disque, enregistré en deux ou trois mois à la maison. « La vérité », « Une île », et « Des noeuds, de la Soie du Vent » ont été gravées chez Samy Osta (Feu! Chatterton, La Femme, Juniore…).
En résulte un disque viril et sensible, profondément marqué par son époque bien qu’hors du temps, difficile à rapprocher d’une quelconque mode actuelle, et que ça fait du bien ! Et Julien Bensé d’ironiser « Être dans le vent, c’est avoir le destin des feuilles mortes »…CQFD
Un peu plus dépouillé que les disques précédents de son auteur, L’Odyssée est aussi un disque plus ramassé. Tout y est mesure, tout contre l’hybris humaine… La profondeur des dix textes incite à qualifier l’album d’exercice de folk métaphysique. Julien Bensé y critique l’aboutissement de l’idéalisme platonicien dans une société technique au paroxysme du Spectacle tel que défini par Guy Debord. (« Palo Alto »). Il y traite aussi du terrorisme, citant Daesh au détour d’un « drapeau noir et blanc » (« Poggio »). Ce retour au refuge est aussi le résultat de l’atmosphère d’un Paris traumatisé par les attentats de 2015.
Mais L’Odyssée, à travers son introduction éponyme ou les nappes synthétiques de « La Vérité », est avant tout un manifeste pour une hygiène de vie spirituelle dans un monde sans sens ; conscient que la fin des temps est programmée, cet album chante une réconciliation avec l’espèce humaine par l’entremise de la poésie.
L’essai se conclue sur « Les Mathématiques », où l’artiste, sa guitare et ses arpeggios synthétiques progressifs à la Blade Runner marient la science et la poésie comme langages d’explication du réel dans un final luxuriant et chaotique.
Ode à la « pensée de midi » camusienne (heure où l’ombre est la plus courte rappelle Nietzsche), Julien Bensé signe ici une perle solaire de folk tragique, érudite et intemporelle, sous le ciel sublime et indifférent d’une nuit étoilée quelque part, vers Ithaque..
– Olivier Nuc